Suggestion of the day

Il n’y a pas grand chose à ajouter, parfois. La pochette aguiche juste comme il faut. La plaque débarque sur Blue Note et il y a funk dans
l’intitulé. Le titre lève-t-il déjà le voile sur une bonne partie des
ficelles? Bon sang, il faut vraiment se retenir pour ne pas aller voir ce qu’il se cache derrière. Point de déception au bout du suspense.
L’organiste Jimmy McGriff et ses sbires lâchent les chiens comme
jamais. Faut dire que ça joue sérieusement.

Mais tempérons quelque peu. Le groupe est tout sauf démonstratif. Électrique, oui mais plus par l’intensité que pour l’énergie. Funk,
certainement mais dans le plus pur esprit soul. C’est relax, ça coule de source. Et pourtant, ça secoue sévèrement. Et c’est là, toute la magie de ce disque. Comment résister aux assauts veloutés de « Back On The Tracks », « Chris Cross » ou de « The Bird Wave »? Vous me le direz, je n’y suis jamais parvenu…

M.

Jimmy McGRIFF
« Electric Funk »



Suggestion of the day

Il ne faut pas se voiler la face. Tout du long, les Electric Prunes ont moins été un groupe qu’un concept. Le joujou de leur producteur Dave Hassinger à vrai dire. Et le gars fourmille d’idées. En plein boom garage, il engage deux songwriters, Annette Tucker et Nancie Mantz, qui fourniront presque à elles seules, deux albums entiers de primitives
rengaines dont le hit « I Had Too Much To Dream Last Night » qui assoira une certaine notoriété.

Il faut changer de cap? Soit, on fait appel à David Axelrod et Hassinger embraye sur une messe grégorienne grandiloquente sans queue ni tête mais parvient néanmoins à placer un titre dans le cultissime « Easy Rider ». Reste que le disque comprenait encore une poignée de musiciens du groupe originel. Car le collectif à géométrie variable, dont les parties importent moins que le tout, change perpétuellement et lorsque « Release Of An Oath » est publié, pas un seul membre ne passe la porte du studio.

Sous-titré « The Kôl Nidre », expression de la culture juive, le quatrième album est un miracle. Axelrod s’est entouré d’immenses musiciens de session ( vous pourriez passer votre journée à éplucher le cv de Carol Kaye ou Earl Palmer) pour assurer les partitions de ce monumental popéra baroque. Tandis que les cordes et les bois virevoltent, une
orchestration typiquement rock balaie tout sur son passage.

Une fois de plus la batterie foudroie : « Kôl Nidre », l’instrumental « General Confessional » ou « Holy Are You » (et sa phénoménale partie de guitare) se sont révélés être un paradis pour les beatmakers. La basse est énorme et la prise de son dantesque. David Axelrod aiguise ici son talent d’arrangeur et de recruteur (ses propres diamants, « Song Of Innocence » et « Songs of Experience », sur le point de voir le jour, seront mis en boîte par la même équipe). Cette fois, la messe est vraiment dite et cela, en 24 petites minutes à peine…

M.

The ELECTRIC PRUNES
« Release Of An Oath »



Suggestion of the day

Memphis est une ville réputée pour être le berceau du blues. Le lieu de naissance du rock’n’roll au creux des reins du Sun Studio. La ville qui a enfanté Stax Records. Hébergé l’American Sound Studio (qui a vu défiler Wilson Pickett, Bobby Womack, les Box Tops et tant d’autres). C’est là que se sont établis les Studio Ardent, où ont entre autres été enregistrés les albums des Scruffs ou de Big Star. Et si l’on aborde cette scène power pop du Memphis des années septante, c’est qu’il est sérieusement temps d’évoquer le cas de Van Duren.

Le bonhomme fait partie du microcosme des musiciens du coin,
écume les bars, roule sa bosse avec Andrew Loog Oldham, monte à
l’occasion sur les planches avec Chris Bell et finira même par
auditionner pour intégrer Big Star. En vain. Et si le groupe d’Alex Chilton n’aura pas déchaîné les foules à l’époque, le groupe deviendra culte, bien aidé par des dévots tels que R.E.M, les Posies ou les Replacements. Van Duren n’aura pas cette chance. Pourtant, le disque qu’à force
d’abnégation, il réussit à enregistrer, est une rayonnante pépite.

« Are You Serious » est une merveille pop, pied au plancher, pétillante et élégante. Les compos, parfaitement ciselées, sont l’œuvre du
gaillard, qui joue d’à peu près tout lui-même. Autre point fort, cette
intonation sans filet, dont le parallèle avec McCartney est frappant,
résonne encore un long moment après l’avoir quittée. Si le cœur vous
en dit, un documentaire sorti l’année passée, rend grâce au parcours
singulier du musicien et le moins que l’on puisse dire, c’est que Van Duren n’aura pas bénéficié de l’écrasante vague de ferveur qui a déboulé sur le Sugar Man. Et c’est peut-être mieux comme ça.

M.

Van DUREN
« Are You Serious? »



Suggestion of the day

En cette journée internationale du jazz, je vous toucherai un mot du disque que j’ai probablement le plus célébré, scruté, épluché et partagé, peut-être tous genres confondus, « Eddie Gale’s Ghetto Music ». Disque inexplicablement sous-estimé du répertoire Blue Note, il vaut largement, c’est incontestable, la peine d’être écouté par le plus grand nombre d’oreilles curieuses. Dont acte.

Le trompettiste New-yorkais Eddie Gale a mérité ses galons en
explorant l’avant-garde aux côtés de Cecil Taylor (le défricheur « Unit Structures ») ou en ornant les touches de Larry Young (superbe « Of Love And Peace). Mais c’est au sein de l’Arkestra de Sun Ra qu’il se forge une réputation et un sens de la liberté de ton et d’esprit qui
enluminera irrévocablement son travail.

C’est seul qu’il écrit, arrange et orchestre sa musique du ghetto. C’est sa façon très personnelle de rendre hommage à sa communauté, la fierté d’un héritage dont il est issu et qui jalonne l’histoire de son pays. Celle de sa couleur aussi et de sa contribution à la société, à la culture et à la musique qui en découle. Son jeu, nourri de ces voix et de ces vibrations est, d’un bout à l’autre, le plus réjouissant des
tumultes.

« Ghetto Music » sera conçu comme un concept à part entière, spectacle collectif et total étoffé de costumes, de danse et d’une considération tant dramatique que musicale. Cette pochette d’ailleurs, fort peu
banale dans les canons du jazz, capte instantanément l’attention. Que se cache-t-il derrière pareille troupe ? Une œuvre unique dont la
créativité et l’expressivité gravées dans ses sillons suspendent le temps comme peu d’autres.

M.

Eddie GALE
« Eddie Gale’s Ghetto Music »