Suggestion of the day

En cette journée internationale du jazz, je vous toucherai un mot du disque que j’ai probablement le plus célébré, scruté, épluché et partagé, peut-être tous genres confondus, « Eddie Gale’s Ghetto Music ». Disque inexplicablement sous-estimé du répertoire Blue Note, il vaut largement, c’est incontestable, la peine d’être écouté par le plus grand nombre d’oreilles curieuses. Dont acte.

Le trompettiste New-yorkais Eddie Gale a mérité ses galons en
explorant l’avant-garde aux côtés de Cecil Taylor (le défricheur « Unit Structures ») ou en ornant les touches de Larry Young (superbe « Of Love And Peace). Mais c’est au sein de l’Arkestra de Sun Ra qu’il se forge une réputation et un sens de la liberté de ton et d’esprit qui
enluminera irrévocablement son travail.

C’est seul qu’il écrit, arrange et orchestre sa musique du ghetto. C’est sa façon très personnelle de rendre hommage à sa communauté, la fierté d’un héritage dont il est issu et qui jalonne l’histoire de son pays. Celle de sa couleur aussi et de sa contribution à la société, à la culture et à la musique qui en découle. Son jeu, nourri de ces voix et de ces vibrations est, d’un bout à l’autre, le plus réjouissant des
tumultes.

« Ghetto Music » sera conçu comme un concept à part entière, spectacle collectif et total étoffé de costumes, de danse et d’une considération tant dramatique que musicale. Cette pochette d’ailleurs, fort peu
banale dans les canons du jazz, capte instantanément l’attention. Que se cache-t-il derrière pareille troupe ? Une œuvre unique dont la
créativité et l’expressivité gravées dans ses sillons suspendent le temps comme peu d’autres.

M.

Eddie GALE
« Eddie Gale’s Ghetto Music »



Suggestion of the day

Jeffrey Lee Pierce est un héros. Incandescent, flamboyant, cintré
du ciboulot, expédié en enfer par la grande porte beaucoup trop
prématurément. Bien plus tôt, Jeffrey était un fan, un gamin qui
idolâtrait Blondie, le punk, le blues et la country et qui grattait le
papier dans des fanzines modestes. Quelques accords en poche
plus tard, il part au charbon sans aucune retenue. Et durant toute
sa carrière, on pourra ressentir qu’il portait son legs comme
certains portent leur croix.

The Gun Club déjà. Tout un programme. Puis on lit « Fire Of Love » (du nom du titre culte de Jody Reynolds, qu’ils reprendront sur l’album
suivant). Tout cela mis bout à bout, forcément, ça ne pouvait que
décaper. Comme il se doit, l’album est foudroyant. D’entrée de jeu,
« Sex Beat » terrasse. Du swamp punk fangeux déguisé en blues que chante un Jeffrey écorché, à la manière de ces fameux outlaws
cramés de la country qu’il révère.

Et le blues, parlons-en. Le groupe revisite Tommy ou Robert Johnson,
la guitare slide dérape, les percussions, tribales font remonter à la
surface chaque fantôme des bas-fonds, ça racle dangereusement.
Une belle bande de bras cassés jetés corps et âme dans leur prêche.
Du tourbillon « She’s Like Heroin To Me », à « For The Love Of Ivy »,
qui voue son culte à la vénéneuse déesse des Cramps, tout ici exhale
une authenticité ombrageuse et rédemptrice. Et c’est juste beau.

M.

The GUN CLUB
« Fire Of Love »



Suggestion of the day

Voilà ce que l’on appelle un disque culte. Une plaque qui n’était même pas vouée à exister. Pour rappel, les Moderns Lovers première mouture n’ont jamais sorti le moindre album officiel. Tout au plus de solides
démos. Des sessions avortées. Des bricoles à peine abouties.
La perfection totale, en somme.

Le groupe se forme au début des années septante et, autour de Jonathan Richman, se fige le noyau dur de la période mythique. Jerry Harrison, qui enchaînera avec les Talking Heads, David Robinson, qui s’accointera avec Ric Ocasek pour former les Cars et Ernie Brooks, futur associé de Arthur Russell au sein des éphémères et brillants Necessaries.
Voilà pour le CV.

Une session trop vite pliée en 72, pilotée par le frappadingue notoire
Kim Fowley (écoutez son « I’m Bad » sorti la même année) émousse le groupe et quand en 73, tout ce beau monde se pointe en studio, Richman en a déjà plein le dos. Trop de galères, des morceaux dont il a fait le tour, un son qui ne lui colle plus à la peau. Sans parler des embrouilles de
studio avec John Cale, aux manettes, et avec… un peu tout le monde.
Les portes claquent. Pour de bon.

Il faudra patienter jusqu’à 76 pour que Richman déterre les bandes
et ne publie enfin ce qui reste l’un des albums les plus précurseurs
d’une époque qui n’en manque pourtant pas. Une posture revêche,
un orgue aigrelet, une rythmique convulsive et une guitare aussi
inflexible que la prose. A n’en point douter, son caractère désinvolte, abrupt, caustique et percutant fait un peu de ce disque, l’équivalent
du Velvet Underground pour les années punk. Le mythe, le fantasme,
la pureté. La modernité éternelle.

M.

The MODERN LOVERS
« s/t »