Suggestion of the day

Il ne faut pas se voiler la face. Tout du long, les Electric Prunes ont moins été un groupe qu’un concept. Le joujou de leur producteur Dave Hassinger à vrai dire. Et le gars fourmille d’idées. En plein boom garage, il engage deux songwriters, Annette Tucker et Nancie Mantz, qui fourniront presque à elles seules, deux albums entiers de primitives
rengaines dont le hit « I Had Too Much To Dream Last Night » qui assoira une certaine notoriété.

Il faut changer de cap? Soit, on fait appel à David Axelrod et Hassinger embraye sur une messe grégorienne grandiloquente sans queue ni tête mais parvient néanmoins à placer un titre dans le cultissime « Easy Rider ». Reste que le disque comprenait encore une poignée de musiciens du groupe originel. Car le collectif à géométrie variable, dont les parties importent moins que le tout, change perpétuellement et lorsque « Release Of An Oath » est publié, pas un seul membre ne passe la porte du studio.

Sous-titré « The Kôl Nidre », expression de la culture juive, le quatrième album est un miracle. Axelrod s’est entouré d’immenses musiciens de session ( vous pourriez passer votre journée à éplucher le cv de Carol Kaye ou Earl Palmer) pour assurer les partitions de ce monumental popéra baroque. Tandis que les cordes et les bois virevoltent, une
orchestration typiquement rock balaie tout sur son passage.

Une fois de plus la batterie foudroie : « Kôl Nidre », l’instrumental « General Confessional » ou « Holy Are You » (et sa phénoménale partie de guitare) se sont révélés être un paradis pour les beatmakers. La basse est énorme et la prise de son dantesque. David Axelrod aiguise ici son talent d’arrangeur et de recruteur (ses propres diamants, « Song Of Innocence » et « Songs of Experience », sur le point de voir le jour, seront mis en boîte par la même équipe). Cette fois, la messe est vraiment dite et cela, en 24 petites minutes à peine…

M.

The ELECTRIC PRUNES
« Release Of An Oath »



Suggestion of the day

Memphis est une ville réputée pour être le berceau du blues. Le lieu de naissance du rock’n’roll au creux des reins du Sun Studio. La ville qui a enfanté Stax Records. Hébergé l’American Sound Studio (qui a vu défiler Wilson Pickett, Bobby Womack, les Box Tops et tant d’autres). C’est là que se sont établis les Studio Ardent, où ont entre autres été enregistrés les albums des Scruffs ou de Big Star. Et si l’on aborde cette scène power pop du Memphis des années septante, c’est qu’il est sérieusement temps d’évoquer le cas de Van Duren.

Le bonhomme fait partie du microcosme des musiciens du coin,
écume les bars, roule sa bosse avec Andrew Loog Oldham, monte à
l’occasion sur les planches avec Chris Bell et finira même par
auditionner pour intégrer Big Star. En vain. Et si le groupe d’Alex Chilton n’aura pas déchaîné les foules à l’époque, le groupe deviendra culte, bien aidé par des dévots tels que R.E.M, les Posies ou les Replacements. Van Duren n’aura pas cette chance. Pourtant, le disque qu’à force
d’abnégation, il réussit à enregistrer, est une rayonnante pépite.

« Are You Serious » est une merveille pop, pied au plancher, pétillante et élégante. Les compos, parfaitement ciselées, sont l’œuvre du
gaillard, qui joue d’à peu près tout lui-même. Autre point fort, cette
intonation sans filet, dont le parallèle avec McCartney est frappant,
résonne encore un long moment après l’avoir quittée. Si le cœur vous
en dit, un documentaire sorti l’année passée, rend grâce au parcours
singulier du musicien et le moins que l’on puisse dire, c’est que Van Duren n’aura pas bénéficié de l’écrasante vague de ferveur qui a déboulé sur le Sugar Man. Et c’est peut-être mieux comme ça.

M.

Van DUREN
« Are You Serious? »



Suggestion of the day

Jeffrey Lee Pierce est un héros. Incandescent, flamboyant, cintré
du ciboulot, expédié en enfer par la grande porte beaucoup trop
prématurément. Bien plus tôt, Jeffrey était un fan, un gamin qui
idolâtrait Blondie, le punk, le blues et la country et qui grattait le
papier dans des fanzines modestes. Quelques accords en poche
plus tard, il part au charbon sans aucune retenue. Et durant toute
sa carrière, on pourra ressentir qu’il portait son legs comme
certains portent leur croix.

The Gun Club déjà. Tout un programme. Puis on lit « Fire Of Love » (du nom du titre culte de Jody Reynolds, qu’ils reprendront sur l’album
suivant). Tout cela mis bout à bout, forcément, ça ne pouvait que
décaper. Comme il se doit, l’album est foudroyant. D’entrée de jeu,
« Sex Beat » terrasse. Du swamp punk fangeux déguisé en blues que chante un Jeffrey écorché, à la manière de ces fameux outlaws
cramés de la country qu’il révère.

Et le blues, parlons-en. Le groupe revisite Tommy ou Robert Johnson,
la guitare slide dérape, les percussions, tribales font remonter à la
surface chaque fantôme des bas-fonds, ça racle dangereusement.
Une belle bande de bras cassés jetés corps et âme dans leur prêche.
Du tourbillon « She’s Like Heroin To Me », à « For The Love Of Ivy »,
qui voue son culte à la vénéneuse déesse des Cramps, tout ici exhale
une authenticité ombrageuse et rédemptrice. Et c’est juste beau.

M.

The GUN CLUB
« Fire Of Love »



Suggestion of the day

Voilà ce que l’on appelle un disque culte. Une plaque qui n’était même pas vouée à exister. Pour rappel, les Moderns Lovers première mouture n’ont jamais sorti le moindre album officiel. Tout au plus de solides
démos. Des sessions avortées. Des bricoles à peine abouties.
La perfection totale, en somme.

Le groupe se forme au début des années septante et, autour de Jonathan Richman, se fige le noyau dur de la période mythique. Jerry Harrison, qui enchaînera avec les Talking Heads, David Robinson, qui s’accointera avec Ric Ocasek pour former les Cars et Ernie Brooks, futur associé de Arthur Russell au sein des éphémères et brillants Necessaries.
Voilà pour le CV.

Une session trop vite pliée en 72, pilotée par le frappadingue notoire
Kim Fowley (écoutez son « I’m Bad » sorti la même année) émousse le groupe et quand en 73, tout ce beau monde se pointe en studio, Richman en a déjà plein le dos. Trop de galères, des morceaux dont il a fait le tour, un son qui ne lui colle plus à la peau. Sans parler des embrouilles de
studio avec John Cale, aux manettes, et avec… un peu tout le monde.
Les portes claquent. Pour de bon.

Il faudra patienter jusqu’à 76 pour que Richman déterre les bandes
et ne publie enfin ce qui reste l’un des albums les plus précurseurs
d’une époque qui n’en manque pourtant pas. Une posture revêche,
un orgue aigrelet, une rythmique convulsive et une guitare aussi
inflexible que la prose. A n’en point douter, son caractère désinvolte, abrupt, caustique et percutant fait un peu de ce disque, l’équivalent
du Velvet Underground pour les années punk. Le mythe, le fantasme,
la pureté. La modernité éternelle.

M.

The MODERN LOVERS
« s/t »