Suggestion of the day

Des gens comme Davy Graham en Angleterre ou John Fahey aux Etats-Unis, ont révolutionné la façon de jouer et de faire sonner une guitare. Ils ont absorbé les ragas indiens, inhalé la musique de transe orientale et assimilé, particulièrement dans le cas qui nous occupe, le son des Appalaches convoquant les grands Esprits amérindiens. Une résonance qui doit autant à des accordages spécifiques qu’à un
profond et spirituel retour à l’essence première.

La musique de Robbie Basho, en particulier, est incroyablement
foisonnante. Ce qui frappe, à peine le bras posé sur le disque, c’est
le son des cordes qui semblent pincées simultanément par trois
personne. Une virtuosité indéniable qui s’oublie dès que l’on se laisse aller aux harmonies vaporeuses qu’elle engendre. Pour mieux
se laisser envoûter par cette voix, vertigineuse, qui surgit du néant.
Ces psalmodies, libres et extatiques, confinent au divin.

Ce que procure Robbie Basho tout au fil de ce disque, est à peine
descriptible. Il joue de la musique folklorique au sens noble du terme.
Mais ce supplément d’âme, cette force mystique et primitive qui en émane, n’a semble-t-il, pour peu qu’on s’y abandonne, aucun
équivalent terrestre.

M.

Robbie BASHO
« Visions Of The Country »


Suggestion of the day

Au crépuscule des années soixante, le blues vit une énième jeunesse
et l’Angleterre, qui n’en est assurément pas le berceau, lui rend
pourtant l’un des plus fier tribut. Mais s’il a surgit de la complainte
et du souffle de liberté, celui des jeunes angliches, de Free (Tons Of Sobs) aux Groundhogs (Blues Obituary), de John Mayal (Blues From Laurel Canyon) à Savoy Brown (Getting To The Point), s’encrasse et s’alourdit d’un cran.

Et puis viennent les freaks… Ceux, exaltés, qui trempent leur plume
et leurs gosiers dans l’acide. Un bataillon de jeunes hirsutes qui
n’envisagent la vie que comme un périple frénétique et libertaire.
Et qui le font savoir. Deviants, Pink Fairies, Stack Waddy ou nos héros du jour, Edgar Broughton Band. Les gaillards jouent partout, dans les rues, les parcs, les cours d’école ou en marge des festivals, histoire de bien faire fulminer les acteurs de ce qu’ils estiment être l’ordre établi.

Sur « Wasa Wasa », leur premier album, ces agitateurs marginaux ne simulent pas. Les amplis surchauffent, ils gobent le blues comme le L.S.D, le rincent, le recrachent à la face du monde et le piétinent un dernier coup, des fois qu’il en reste. Partout, la rage d’Edgar est aussi rocailleuse que sa voix, à mi-chemin entre Captain Beefheart et Howlin’ Wolf, implacables modèles.

« Death Of An Electric Citizen » atomise, « Why Can’t Somebody Love Me » et « Love In The Rain » débordent de fuzz. C’est heavy, psyché et sans concession. Les effluves de la contre-culture prennent d’ailleurs plus d’une fois le pas sur la raison comme sur cet « American Soldier Boy », éloquent à plus d’un titre. Mais aucun débordement ne déviera ce disque de son but premier. Galvaniser jusque dans les derniers
retranchements.

M.

EDGAR BROUGHTON BAND
« Wasa Wasa »


Suggestion of the day

Quand on parle de funk débridé, explicitement sexuel et pourtant
ouvertement féministe, le premier nom évoqué sera certainement
Betty Davis. L’indomptable tigresse qui aura mis Miles à (ses) genoux,
pourtant pas réputé pour être le plus facile à apprivoiser des
gaillards du quartier. On aurait tort de se priver de la discographie
de la souveraine Nasty Gal.

Mais nous discuterons plutôt du cas Yvonne Fair. Aperçue au sein des Chantels, modeste formation doo-wop, la demoiselle sera débauchée
par la James Brown Revue et plus intimement par son ogre de leader.
Sa carrière aurait pu tourner court si une signature chez Motown
bien des années plus tard ne la remette brièvement sur les rails. Mais
le voyage ne fut pas vain…

Cette pochette déjà… Bon ok, qui a bien pu cautionner ce cadre orné
de bonbons, de pilules et de ce qui ressemble assez vaguement à un
rouleau de pq ? Mais ce regard qui en dit long… Clairement, le fouet n’est pas pour elle : « Et ouais, ce disque va te museler mon petit gars ».
Et dès l’intro, cette petite guitare aguicheuse se fait mater par la dame qui déboule, intraitable… Pressez play, vous comprendrez sur-le-champ
où je veux en venir. Son phénoménal « Funky Music Sho Nuff Turns Me On », joue jeu égal avec la version d’Edwin Starr, c’est dire.

Il faut entendre cette façon de régler son compte au malheureux qui a osé la contrarier à l’entame de « Walk Out The Door If You Wanna » avant de littéralement envoyer le morceau dans la stratosphère. C’est un peu ça ce disque, cette capacité qu’elle a de traverser les morceaux et de les exploser au passage. Un solide classique funky. Restera son épitaphe, cette singulière interprétation caressante de « It Should Have Been Me », son seul hit, au titre tristement prophétique.

M.

Yvonne FAIR
« The Bitch Is Black »


Suggestion of the day

Voilà quelqu’un qui est bien moins célébré que les albums auxquels il
a participé et dont la carrière solo n’est toujours pas particulièrement
acclamée. Cet « Heritage » par exemple, sorti sur Blue Note (pas la
moins crédible maison qui soit), n’a pas laissé de trace indélébile. Définitivement, Eddie Henderson n’a pas la réputation qu’il mérite.

Le trompettiste a pourtant, de 1970 à 1973, participé à l’élévation
spirituelle du groupe de Herbie Hancock, soit l’enchainement « Mwandishi », « Crossing » et « Sextant », excusez du peu… Comme tous
les autres musiciens de ces extraordinaires sessions, il adoptera un
nom swahili. Eddie deviendra Nganga, ce qui pourrait revêtir la notion de sorcier. Choix judicieux lorsque l’on apprend que le monsieur est
un médecin diplômé.

Eddie Henderson, ici très clairement inspiré par le Miles Davis des
années fusion, s’est entouré de Julian Priester (écoutez le formidable
« Love, Love » sur ECM), Mtume, Patrice Rushen et de l’omniprésence funky de Paul Jackson, bassiste des Headhunters de Herbie.
Rigoureux, remuant et pourtant si aérien, « Heritage » est un disque
admirable qui devrait mieux porter son nom…

M.

Eddie HENDERSON
« Heritage »