Suggestion of the day

C’est presque un accident. Une erreur de casting. Johnny Harris n’économise pourtant pas ses efforts. Producteur, compositeur,
parolier et chef d’orchestre, le mec turbine comme un damné.
L’écossais met sa patte d’arrangeur au service de Petula Clark,
Tom Jones, Roy Budd, Shirley Bassey et un paquet d’autres. Il se met
à composer des bandes originales dès qu’il a un peu de temps libre
et puis, pourquoi pas enregistrer un ou deux petits albums sous
son nom tiens, tant qu’on y est.

Et accompagné d’un orchestre surchauffé, sort donc « Movements », comme une parenthèse enchantée. En première face, ses propres morceaux, composés pour le film « Fragments of Fear », une longue
suite qui démarre en mode flemmard avant qu’une guitare
éperdument stone pourfende le tempo qui, catapulté dans une
autre dimension, crapahute sur un lit de percussions frénétiques.
On redescend calmement pour atterrir sur le « Something » de Harrison, dans une version gospel chargée aux acides. La chute sera douce…

La deuxième face s’amorce par une intro si vrombissante qu’il faut bien se tenir quand on capte enfin qu’on a affaire au « Give Peace A Chance » de Lennon qui tourne à la soul space-age avant que « Light My Fire », « Paint It Black » ou « Wichita Lineman » subissent les mêmes assauts
cosmiques. Ça passe ou ça casse. On navigue toujours entre cocktail kitsh et envolées sidérantes. Et si la frontière est mince, l’ivresse n’en est que décuplée, portée par les remous d’une basse colossale et groovy chère aux productions léchées de David Axelrod.

Après ça, il poursuivra son chemin aux States, enverra chier Elvis qui voulait se payer ses services et continuera de bosser. Figurez-vous que j’ignorais complètement, au moment de commencer à coucher ces quelques lignes, que Johnny Harris nous avait quittés le mois passé, à l’âge de 87 ans. Ces louanges endossent donc la forme d’un révérencieux hommage. Allez, on se repasse « Footprints On the Moon », frissons
garantis…

M.

Johnny HARRIS
« Movements »


Suggestion of the day

Millie Jackson a vendu des camions entiers de disques. Trois de ses
albums sont certifiés or. Elle n’est pourtant définitivement pas
chouchoutée du grand public, matraquée par les radios, encensée par
les livres d’histoire. La faute peut-être à une carrière qui a eu la fâcheuse tendance à flagorner les pistes de danse, à s’éparpiller sur
les années 80 ou à l’une ou l’autre des plus vilaines pochettes d’une
période plutôt féconde en la matière (Back To The S..t, 1989, un must…).

Pourtant, avec « Caught Up », la chanteuse et les musiciens de studio
de la Muscle Shoals Rhythm Section, machine de guerre de l’Alabama, pondent une pépite, régulièrement célébrée. A juste titre, tant cet
album concept qui suit le fil d’une relation extra-conjugale et
conjugue le point de vue de la maîtresse et de la femme bafouée,
est un miracle de cohésion. De la première à la dernière note, toute la trame repose sur un savant dosage entre musicalité et sens
de l’écriture.

La production est monumentale, dans la droite lignée de
« Hot Buttered Soul » ou « Movement » de Isaac Hayes, avec qui elle
collaborera par la suite. Mais que dire de la prestation de Millie,
qui plaque là un mélange assez inédit de passion explosive, de détresse contenue et de spoken word. Certains prétendent entendre dans ce phrasé si caractéristique, les prémisses du débit du hip-hop. Pas loin de deux cent samples de ses chansons répertoriés ont en tous cas tendance à confirmer l’influence de la dame sur toute une
génération nourrie au break et au flow. Si ça, ce n’est pas de
la reconnaissance.

M.

Millie JACKSON
« Caught Up »


Suggestion of the day

Des gens comme Davy Graham en Angleterre ou John Fahey aux Etats-Unis, ont révolutionné la façon de jouer et de faire sonner une guitare. Ils ont absorbé les ragas indiens, inhalé la musique de transe orientale et assimilé, particulièrement dans le cas qui nous occupe, le son des Appalaches convoquant les grands Esprits amérindiens. Une résonance qui doit autant à des accordages spécifiques qu’à un
profond et spirituel retour à l’essence première.

La musique de Robbie Basho, en particulier, est incroyablement
foisonnante. Ce qui frappe, à peine le bras posé sur le disque, c’est
le son des cordes qui semblent pincées simultanément par trois
personne. Une virtuosité indéniable qui s’oublie dès que l’on se laisse aller aux harmonies vaporeuses qu’elle engendre. Pour mieux
se laisser envoûter par cette voix, vertigineuse, qui surgit du néant.
Ces psalmodies, libres et extatiques, confinent au divin.

Ce que procure Robbie Basho tout au fil de ce disque, est à peine
descriptible. Il joue de la musique folklorique au sens noble du terme.
Mais ce supplément d’âme, cette force mystique et primitive qui en émane, n’a semble-t-il, pour peu qu’on s’y abandonne, aucun
équivalent terrestre.

M.

Robbie BASHO
« Visions Of The Country »


Suggestion of the day

Au crépuscule des années soixante, le blues vit une énième jeunesse
et l’Angleterre, qui n’en est assurément pas le berceau, lui rend
pourtant l’un des plus fier tribut. Mais s’il a surgit de la complainte
et du souffle de liberté, celui des jeunes angliches, de Free (Tons Of Sobs) aux Groundhogs (Blues Obituary), de John Mayal (Blues From Laurel Canyon) à Savoy Brown (Getting To The Point), s’encrasse et s’alourdit d’un cran.

Et puis viennent les freaks… Ceux, exaltés, qui trempent leur plume
et leurs gosiers dans l’acide. Un bataillon de jeunes hirsutes qui
n’envisagent la vie que comme un périple frénétique et libertaire.
Et qui le font savoir. Deviants, Pink Fairies, Stack Waddy ou nos héros du jour, Edgar Broughton Band. Les gaillards jouent partout, dans les rues, les parcs, les cours d’école ou en marge des festivals, histoire de bien faire fulminer les acteurs de ce qu’ils estiment être l’ordre établi.

Sur « Wasa Wasa », leur premier album, ces agitateurs marginaux ne simulent pas. Les amplis surchauffent, ils gobent le blues comme le L.S.D, le rincent, le recrachent à la face du monde et le piétinent un dernier coup, des fois qu’il en reste. Partout, la rage d’Edgar est aussi rocailleuse que sa voix, à mi-chemin entre Captain Beefheart et Howlin’ Wolf, implacables modèles.

« Death Of An Electric Citizen » atomise, « Why Can’t Somebody Love Me » et « Love In The Rain » débordent de fuzz. C’est heavy, psyché et sans concession. Les effluves de la contre-culture prennent d’ailleurs plus d’une fois le pas sur la raison comme sur cet « American Soldier Boy », éloquent à plus d’un titre. Mais aucun débordement ne déviera ce disque de son but premier. Galvaniser jusque dans les derniers
retranchements.

M.

EDGAR BROUGHTON BAND
« Wasa Wasa »